dimanche 12 janvier 2014

Hier, j'ai emmené Hache dans cette rue qui m'attirait depuis un moment, bordée à gauche par des maisons de gendarmes, en briques, et à droite par de grands immeubles délabrés. Le chien, me précédait, son unique oreille au vent, heureux comme le sont souvent les chiens, d'un simple courant d'air, d'un mot jeté au vent, du bruit de la laisse battant la pulsation d’une liberté mesurée. Après une vingtaine de minutes, tournant à gauche, nous avons débouché sur ce coin d'herbe sauvage que nous apprécions tant. J'ai éprouvé une joie pure, comme si je venais de remporter une victoire, j'ai couru avec le chien et comme d'habitude, il s'est faufilé entre mes pieds. J'ai manqué tomber :
" Mais que tu es bête, Hache, ce n'est pas possible, ai-je crié ! "


Plus loin, des pies fouillaient la terre et le chien s'est élancé en contraignant son corps à de menus mouvements, cherchant l'invisibilité au milieu des herbes. Les pies qui le regardaient arriver de leur œil noir de côté, ont décollé juste avant qu'il puisse les attraper. D'ailleurs, que voulait le chien ? Se saisir de ces petits corps frémissants, jouer, provoquer leur envol ? Il est resté assis dans l'herbe, le nez dans le ciel, longtemps, à contempler l'endroit où les oiseaux avaient disparu, attendant peut-être qu'un nuage les recrache ou que l'ayant oublié, elles reviennent.

Souvent, Hache m'est un exemple, j'admire son application à recouvrir toutes les odeurs des chiens qui ne sont pas siennes, dans le quartier ; il pisse aussi par-dessus sa propre odeur, certain d'être différent, d'un jour à l'autre. D'autres fois c'est un obscur concurrent, il me nargue, il me remue, il existe alors que je voudrais m'oublier. L'idée saugrenue que je ne serais en paix que lorsque je l'aimerais inconditionnellement, m'a traversée l'esprit.


J'aimerais arpenter des chemins sans souvenirs. Je cherche, avec mon chien, des endroits que nous ne connaissons pas. Il y renifle des odeurs inconnues, j'y poursuis des idées nouvelles, tentant de regarder l'avenir sans interroger un passé qui a cessé de me ressembler chaque fois qu'il est devenu malheureux. Ce que je voudrais, c'est chasser, d'un simple haussement d'épaule, tout ce qui m’enchaîne à ce que je ne suis pas et rejoindre, le pas aérien, ce que je m'étais promis. Parfois, pourtant, nous nous retrouvons aux endroits que l’année dernière j’arpentais dans la douleur. Je m’applique alors à ce que chaque pas efface dans la poussière les larmes, les cris que j’avais jetés là. Il faut pour cela emprunter chaque trace, l’épouser un moment puis le transformer légèrement, en courant, en dansant… Hache pisse encore puis il court, toujours plus vite que moi quand il sent que je fuis.

Il y a longtemps que je suis sortie de l'enfance et je n'y retourne pas souvent. Pendant ma jeunesse trépidante, elle m'a suivie un peu, me regardant tenter de crever sa carcasse de mes talons hauts, s'épuisant à suivre mes frasques désorganisées. Elle profitait de ma fatigue, de l'alcool ou d'un chagrin d'amour pour se coller à moi, m'arracher des larmes de petite fille. J'avais, comme d'autres, l'impression que dans les années qui me virent grandir, j'avais mes racines, et que je n'aurais pas assez d'une vie pour scruter le monde que j'avais parcouru et qui était derrière moi. J'ai fouillé ma mémoire à la recherche d'épisodes oubliés comme j'avais retourné autrefois les placards de mes parents pour comprendre mon histoire.
"Je suis une petite fouilleuse, avais-je dit à Esse, lors de l'un de nos premiers rendez-vous.
- Pourquoi, avait-il demandé, alors que cela ne peut que te faire souffrir ?" 
J'ignore ce que j'avais répondu, sans doute que trop de choses nous échappaient et qu'il me semblait nécessaire d'en embrasser le plus possible ; sans doute, aussi, que je préférais souffrir qu'angoisser, et savoir que croire."

J'ai toujours dit quelque chose comme ça.


A présent, je n'ai plus envie de comprendre, je préfère inventer. 

4 commentaires:

  1. une écriture qui vagabonde comme un esprit, un souffle .. c'est beau ;)

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  2. J'aime beaucoup .C'est très joli .

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  3. Bonjour Zoridae,
    En parcourant mon blog à la recherche de fantômes encore vivants, j'ai retrouvé un commentaire de toi, j'ai cliqué sur le lien qui souvent ne mène plus à rien, et voilà ... plaisir de te lire :)

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